«Et si le bonheur, comme l’amour était totalement illogique, s’il ressemblait à une musique qu’on ne doit pas essayer de comprendre, une mélodie qu’il faut savoir apprécier ?» Jón Kalman Stefánsson
Située au bord de l’étang de Berre, le territoire de Châteauneuf-les-Martigues a été violemment impacté par l’évolution industrielle et l’expansion urbaine des XXe et XXIe siècles. Aujourd’hui, c’est une ville-dortoir sans charme apparent, située entre un massif exploité, un étang pollué, et un centre ville coupé de son port de plaisance par une autoroute.
Néanmoins, à y regarder de plus près, Valentine Vermeil a trouvé des espaces intermédiaires où existe une poésie du quotidien et des interstices de liberté où la vie jaillit au grand air, malgré le contexte urbanisé. La photographe a arpenté ce territoire, rencontré des personnes qui habitent le paysage et investissent l’espace naturel qui les entoure par passion ou par leur activité. Dans ses tableaux photographiques les protagonistes trouvent leur bonheur dans des savoir-faire ancestraux et dans la liberté d’exister simplement. Le Paysage habité qu’elle photographie constitue sa recherche d’un envers du décor apparent, où un monde plus léger est révélé.
Paysage habité a été réalisé dans le cadre de la Commande Publique Patrimoine Commun de la DRAC PACA en 2021.
Qui va là ? Des chèvres, des chiens, des poules et des oies… des animaux et des gens qui semblent ensemble comme on ne le voit plus guère. Un vieil homme parle à un renard, une jeune femme à un cheval, une autre nourrit au biberon un chevreau. Un homme à moitié dans l’eau pousse une barque remplie d’appeaux de canard, un autre tend un oiseau mort à son chien. Tout semble précaire, les lieux peu aménagés, parsemés de cabanes et de caravanes, et même de containers où s’appuie parfois une tonnelle et sa vigne. Que fait-on là ? De la chasse, de la pêche, de l’élevage, de l’apiculture… des choses ordinaires, pourtant l’atmosphère est étrange, déconcertante. Le paysage ne rentre dans aucun classement, ou seulement peut-être dans celui des « délaissés », mais un délaissé très habité par les gens et les vivants qui leur sont proches. Des gens à l’écart, dont les silhouettes et l’environnement semblent exprimer une liberté au diapason de celle des chèvres errantes et des plantes qui prolifèrent auprès des choses. En regardant les photographies de Valentine Vermeil, on respire un souffle de liberté, toute discrète soit-elle, perceptible dans le cadre indéfinissable de gestes quotidiens, un cadre hors champ des catégories esthétisantes du paysage, un oubli du regard et donc un refuge pour des vies sans modèles. Il y a là matière à imaginer des façons souples et modestes d’offrir au vivant la chance de foisonner à nouveau dans les territoires longtemps abandonnés à l’insouciance écologique — des manières sans apparat, des manières douces et légères d’habiter encore. Et d’abord d’y reconnaître une aménité paysagère, une certaine beauté qui vient avec le bien-être, quand on lève les yeux et que soudain le paysage se révèle pour ce qu’il est, un cadre offert à la joie de vivre, une forme géographique à contempler parmi tant d’autres, autant que les autres. Qui va là le sait, assis sur la plage sous un parasol ou debout sur la terrasse d’une maison flottante, dans les ombres d’un verger ou d’une pinède. Les photographies nous le disent. Claude Eveno, écrivain.