Qui va là ?
Des chèvres, des chiens, des poules et des oies… des animaux et des gens qui semblent ensemble comme on ne le voit plus guère. Un vieil homme parle à un renard, une jeune femme à un cheval, une autre nourrit au biberon un chevreau. Un homme à moitié dans l’eau pousse une barque remplie d’appeaux de canard, un autre tend un oiseau mort à son chien. Tout semble précaire, les lieux peu aménagés, parsemés de cabanes et de caravanes, et même de containers où s’appuie parfois une tonnelle et sa vigne. Que fait-on là ? De la chasse, de la pêche, de l’élevage, de l’apiculture… des choses ordinaires, pourtant l’atmosphère est étrange, déconcertante. Le paysage ne rentre dans aucun classement, ou seulement peut-être dans celui des « délaissés », mais un délaissé très habité par les gens et les vivants qui leur sont proches. Des gens à l’écart, dont les silhouettes et l’environnement semblent exprimer une liberté au diapason de celle des chèvres errantes et des plantes qui prolifèrent auprès des choses. En regardant les photographies de Valentine Vermeil, on respire un souffle de liberté, toute discrète soit-elle, perceptible dans le cadre indéfinissable de gestes quotidiens, un cadre hors champ des catégories esthétisantes du paysage, un oubli du regard et donc un refuge pour des vies sans modèles. Il y a là matière à imaginer des façons souples et modestes d’offrir au vivant la chance de foisonner à nouveau dans les territoires longtemps abandonnés à l’insouciance écologique — des manières sans apparat, des manières douces et légères d’habiter encore. Et d’abord d’y reconnaître une aménité paysagère, une certaine beauté qui vient avec le bien-être, quand on lève les yeux et que soudain le paysage se révèle pour ce qu’il est, un cadre offert à la joie de vivre, une forme géographique à contempler parmi tant d’autres, autant que les autres. Qui va là le sait, assis sur la plage sous un parasol ou debout sur la terrasse d’une maison flottante, dans les ombres d’un verger ou d’une pinède. Les photographies nous le disent. Claude Eveno
« Et si le bonheur, comme l’amour était totalement illogique, s’il ressemblait à une musique qu’on ne doit pas essayer de comprendre, une mélodie qu’il faut savoir apprécier ? » Jón Kalman Stefánsson.
Dans ce brouhaha contemporain où les valeurs de possessions marchandes dominent, quel est le sens de nos vies ? Qu’est-ce qui nous met en joie ? qu’est-ce qui nous comble vraiment ? J’ai arpenté ce territoire, rencontré ces personnes qui habitent le paysage et investissent, par passion ou par leur activité, l’espace naturel qui les entoure. J’ai capturé ces décors où viennent s’intégrer ces habitants qui y font corps, en harmonie avec l’environnement, mus par une quête existentielle profonde. Dans mes tableaux photographiques, il y a de place pour le ciel, et de l’espace pour le mouvement des personnages. Contemplatives, mes photographies sont des fenêtres sur un monde contemporain où les protagonistes trouvent leur bonheur dans des savoir-faire ancestraux et dans la liberté d’exister simplement. Le paysage habité que je photographie, constituent ma recherche d’un envers du décor apparent, où un monde plus léger m’est révélé. V.V.