Éblouissement(s) Cannois. De l’art d’être ailleurs… au cinéma. Olivier Zerbib, sociologue.
Le Festival de Cannes en tant qu’événement ou, plus exactement, les images et les signes médiatiques qui tentent d’instruire une vision univoque et donc dominante de l’événement travaillent précisément à forcer l’attention de tous les participants sur quelques points de fixation de la manifestation et tolèrent mal les regards distraits. Au demeurant, il réside dans la force centrifuge des images médiatiques du Festival un joli paradoxe qui fonde la frénésie du regard participant à Cannes. Ainsi, les vitres teintées des limousines de luxe, surtout lorsqu’elles sont fermées, rappellent à tous ici et ce, dans une démesure sans relâche, qu’il y aurait peut-être toujours mieux à voir que ce que le dispositif festivalier nous presse de regarder. Voir, voir mieux, voir pire, voir plus, voir plus ou moins, voir plus vite, voir le visible et l’invisible, voir au travers ou au détour, voir ce qu’il ne faut pas voir, voir comment les autres voient, se voir, revoir, se revoir, ne pas avoir pu voir, authenticité du voir, percevoir cette vérité aveuglante du voir : le Festival reconstruit chaque année une véritable écologie du voir saturée de symboles qui recouvrent une grande partie de la ville et qui semblent y délimiter les frontières, mais aussi le temps de l’action.[…]
Car, comme le dit déjà Edgar Morin en 1955 : « Il est bien connu que le véritable spectacle du Festival n’est pas celui qui se donne à l’intérieur, dans la salle de cinéma, mais celui qui se déroule à l’extérieur, autour de cette salle. À Cannes ce ne sera pas tant les films, c’est le monde du cinéma qui s’exhibe en spectacle. […] Le vrai problème est celui de la confrontation du mythe et de la réalité, des apparences et de l’essence. Le Festival, par son cérémonial et sa mise en scène prodigieuse, tend à prouver à l’univers que les vedettes sont fidèles à leur mythe. Cannes est le lieu mystique de l’identification de l’imaginaire et du réel. […] Images merveilleuses, exquises de spontanéité, aussi rituelles que celles des films. Tout contribue à nous donner l’image d’une vie élyséenne. Donner l’image est le terme exact, car il s’agit de poser, autant pour le public de Cannes que pour l’univers entier par le truchement de la photographie, de la télévision et des actualités. C’est le double de l’univers festivalesque qui importe ».
Texte paru dans Cannes, édité par Images en Manoeuvres en 2010.